En retard. Une troisième fois ce jour-ci. D'ailleurs, il était évident que ces trois retards étaient liés. Il fronça les sourcils et se tapa le front du plat de la main tout en jurant contre lui-même. Il n'aimait pas ça, être en retard. Faire attendre les autres, se faire désirer. Ce n'était vraiment pas intentionnel et cela restait très rare. Généralement, il était toujours ponctuel. Sauf lorsqu'il devait rejoindre Alan... Dans ce cas de figure, il tenait très peu compte de l'heure. Allez savoir pourquoi !
En début d'après-midi, on lui avait téléphoné. Alors qu'il déjeunait dans un fast-food de quelque plat pas réellement sain, la sonnerie très peu discrète de son téléphone portable avait résonné dans l'endroit. Oups. Il avait juste complétement oublié de le mettre en mode vibreur, ou en silencieux. Alors qu'il pensait l'avoir fait. Résultat : il avait été plutôt surpris. Ce qui avait entraîné la chute de sa boisson sur son pantalon, ses chaussures et, accessoirement, le carrelage. Ceci signa la cause de son premier retard.
Après s'être remis de sa surprise et avoir prononcé quelques mots mauvais, il avait tout de même décroché. C'était une connaissance, un copain, au meilleur des cas. Il lui proposait une soirée bowling, ce soir. Vingt heure, devant les portes. Il n'avait rien de prévu ce soir et, il devait l'avouer, cela le tentait plutôt bien. Ainsi, il accepta, plutôt enthousiaste.
Il attrapa plusieurs feuilles de papier et essuya le sol comme il le pouvait. Seulement, le sucre rendait le tout assez collant et le résultat n'était certes pas satisfaisant. Il hésita un instant à aller demander une serpillère, puis laissa cette idée de côté lorsqu'il consulta l'heure d'un regard à son portable. Il avait rendez-vous dans trois quarts d'heure avec un avocat, afin qu'il lui parle de son métier, qu'il lui raconte quelques anecdotes, qu'il le conseille,... Et le lieu qu'ils avaient fixé pour le rendez-vous, ce n'était pas la porte à côté. De plus, il devait rapidement passer par chez lui pour se changer, afin d'être un minimum présentable. Il laissa un pourboire plus conséquent que d'ordinaire et se sauva.
Il passa prestement un autre pantalon, soit un jean bien coupé, qui tombait comme il le fallait, et troqua son vieux tee-shirt tout tâché, lui aussi, pour une chemise noire plus élégante qu'il ne boutonna pas jusqu'au col et dont il remonta les manches jusqu'au plis de ses coudes. Les clefs de sa voiture en main, il couru jusqu'à cette dernière, démarra en trombe, arriva avec près d'un quart d'heure de retard auprès de l'homme. Il s'excusa, se fit tout de même réprimander pour ce manque de ponctualité qui ne sciait pas un avocat. Bien. Cela promettait réellement d'être agréable... Sarcasme, s'il vous plaît.
Ce fut, en effet, très ennuyant et totalement inutile. Il n'avait rien appris et cet homme semblait être simplement l'avocat complétement stéréotypé. Rien de plus. Comme s'il ne pensait pas par lui-même, mais plutôt par tous les bouquins qu'on avait dû l'obliger à ingurgiter. Il retint avec difficulté plusieurs bâillements. Et plusieurs rires, aussi, qui auraient certainement été mal placés. Il s'absenta un instant en prétextant un besoin urgent d'aller aux toilettes et sortit fumer, évacuant ce trop plein de rires contenus au rythme de la fumée qu'il laissait s'échapper d'entre ses lèvres entr'ouvertes.
Lorsqu'il y retourna, se fut pour repartir presque aussitôt. Il avait complétement oublié, mais il devait rejoindre une amie pour une virée shopping qu'il lui avait promis. Le message assez bref qu'elle lui avait envoyé, lui signifiant qu'elle l'attendait, le lui rappela. Il fut comme soulagé d'avoir une raison valable pour prendre congé de l'avocat. Il le quitta, plutôt heureux de cela, à vrai dire.
Second retard, donc. La jeune-femme le lui fit remarquer sans délicatesse. Il argua que cela ne lui arrivait presque jamais et que, peut-être, elle pouvait passer l'éponge sur cette fois-ci. Elle fit la moue un instant et acquiesça, tout en saisissant son bras. Cette fin d'après-midi passa très vite, il s'amusait beaucoup. Ensuite, ils rentrèrent tous les deux chez lui. Emrys ne fit aucunement attention à l'heure. C'est quand, vers vingt heure, la demoiselle lui signifia qu'elle devait le quitter, qu'il réagit. Oups, encore. Trois fois, en une seule journée... Lui qui, habituellement, était toujours ponctuel.
Il passa une main dans ses cheveux rebelles, attrapa un manteau et une écharpe et sortit, en refermant la porte.
Ses clefs, ses clefs, ses clefs ! Où est-ce qu'il les avait mises, encore ? Il était en retard, déjà. Alors si, en plus, ses clefs se faisaient la malle...
Bon. Il n'avait plus de temps à perdre. Le bowling n'était pas vraiment loin, ainsi, il décida d'y aller à pieds. Il glissa une cigarette entre ses lèvres, l'alluma. Puis, il en déposa une seconde derrière son oreille, rangea son briquet dans le paquet et le paquet dans la poche droite de son manteau sombre.
Une demie-heure. Non, vraiment... Qu'est-ce qu'il avait, aujourd'hui ?
Il rentra, seul, donc. Passa prendre des chaussures, laissa les siennes, enfila les autres. Il chercha un instant le groupe avec lequel il devrait jouer, les aperçut, s'avança vers eux.
Il s'excusa, sincèrement, d'être en retard. Fit la bise aux demoiselles, serra la main aux messieurs. Et la partie commença.
Une jeune-fille s'avança, attrapa un boule et la lança. Un strike. Déjà. Du premier coup. Hé bien ! Elle mettait la barre haute, dès le début.
Emrys venait souvent au bowling. Bon, il n'était pas vraiment doué et sa maladresse ne l'était certes pas, mais il se débrouillait tout de même et avait déjà gagné contre bon nombre de personnes. Des débutants, mais il n'est pas nécéssaire de le mentionner, disons.
En attendant que son tour vienne, il s'assit près d'une jeune-femme, brune. Plutôt jolie, au visage singulier. Elle avait l'air pétillante, agréable à regarder. Le sourire aux lèvres, adorable.
Il se tourna vers elle, capta son regard et décida d'engager une conversation.
Il lui offrit un sourire charmant et charmeur, puis tendit sa main, se présenta. Parce qu'il était beaucoup plus agréable de converser avec quelqu'un dont on connaît, au moins, le prénom. C'était un minimum.
Il attendit qu'elle lui livre à son tour son nom.
Autour d'eux, quelques uns félicitaient la jeune-fille au strike, qu'Emrys n'avait jusqu'à présent jamais seulement croisé. D'autres, mauvais joueurs certainement, répliquaient que ce n'était que la chance du débutant. Lui pensa qu'elle savait seulement jouer. Elle avait calculer la trajectoire, elle avait su comment s'y prendre pour que la boule, lourde et à la couleur éclatante, renverse chacune des quilles.
« Wahou. Elle débute plutôt bien ! », commenta-t-il, un rire dans la voix.
A dire vrai, ce premier strike lui faisait penser qu'il avait du souci à se faire, s'il ne souhaitait pas finir dans les derniers, si ce n'était finir dernier.